Le hasard fait drôlement les choses. Premier jour de vacances dans ma maison familiale dans les Pyrénées, près de St-Béat, et voilà que le Tour de France passe à 300 m… Nous sommes 3 générations. Se ravivent les souvenirs du Tour que je regardais chez ma grand-mère à Luchon dans la maison allées d'Etigny. A la télé, je surveillais leur arrivée au niveau du parc des Quinconces et là, direction la fenêtre de la chambre pour voir la fiction devenir quelques secondes de réalité. Au fil des années, se sont succédés et restent dans ma mémoire Poulidor, Ocana, Thévenet, Hinault. Surtout Poulidor arrivant en solitaire à Superbagnères. Et puis la distribution de cadeaux publicitaires de la caravane du tour, la foule, la fête… Je me souviens surtout des casquettes aux noms des meilleurs coureurs et aux couleurs de leur équipe. Il me semble qu'elles étaient en coton…
Alors aujourd'hui, comment éviter ça à mes enfants, même s'ils ne regardent pas la télé ? Alors que les cousins sont là, qui, eux, la regardent. Et comment éviter la première étape : la caravane. Le "comment" devient un "pourquoi" suivi d'un "à quoi bon".
Les voitures et camions publicitaires ont vraiment de drôles de têtes, transformés en maisons, comptoirs de café du commerce, chevaux, remorques portant des cyclistes d'opérettes faisant du surplace avec des déhanchements ridicules, cage à Chippendale…
Les enfants sont sagement au bord de la route en pente vers le Mourtis, prêts à attraper tout ce qui peut l'être.
Et la distribution commence. Casquettes Carrefour, frisbies ERDF, mini saucissons Cochonou, doses de lessive XTra, madeleines officielles du Tour St-Michel, prospectus de la CGT et de la CFTC (si si), exemplaires de l'Equipe, porte-clés, bracelets, magnets… toute une éducation à refaire…
Vision de crise. Une foule d'enfants affamés de babioles. Parents répartissant les fruits de la pêche pour éviter les conflits. Distributeurs condescendants.
Et tous ces paradoxes. Voilà une course cycliste et la montagne est envahie de bagnoles, camions et se met à puer le gasoil. Effort surhumain et tricherie. Qui doit-on admirer ? Les chimistes ? Il serait peut-être plus simple de ne plus rien contrôler et d'encourager les labos pharmaceutiques à sponsoriser les équipes. Ne seraient disqualifiés que les concurrents mourant avant 70 ans. Et comment interpréter un tel engouement national et international pour une course de tricheurs. Les gens ne sont pas idiots. Ils savent. Ils acceptent. Ou ils s'en foutent. Tant qu'on leur ressert ce morceau d'enfance, d'innocence, ce temps où le dopage "n'existait pas". Ce moment d'oubli du quotidien. Et quel spectacle que la France vue d'hélicoptère ! Le voilà le paradoxe le plus fort. C'est le paradoxe français. La France : pays magnifique qui se livre en spectacle sur fond de tricherie et d'exploitation de la santé de quelques uns. Comme l'exportation des droits de l'homme et la Françafrique… C'est vrai qu'il y a plus grave que le Tour de France. D'autant que le Tour nous fait oublier tout ce qui nous dérange. C'est l'été, les vacances. Même les bruits de klaxon deviennent mélodieux. Les politiques se taisent, ou alors parlent du Tour, l'accueillent dans leur baronnie… Le lien entre sportifs et politiques existe sans doutes dans l'esprit de beaucoup de gens. Cette idée que si on grattait, ce qui apparaîtrait ne serait pas joli joli. Mais pourquoi gratter, tant que tout le monde y trouve son compte ? Ne pas se faire pincer (la main dans le sac, la valise, sur la seringue…) est une preuve d'intelligence, de compétence, de capacité au leadership. Malheur au pincé. Il récoltera l'oubli. Pourquoi en vouloir au vainqueur de tricher, puisque pour gagner, il n'a pas d'autre choix que de tricher ? En sport comme en politique, la tricherie est acceptée et n'exclut pas le rêve, l'admiration. Voilà notre monde. Une candidate politique choisit de porter comme premier thème de sa campagne présidentielle la lutte contre la corruption. Elle se fait dégommer à cause de son accent. Voilà le monde dans lequel nous vivons. Souhaitons-nous de rêver encore un peu, d'admirer encore de nouvelles icônes de jaune vêtues pour nous faire oublier cette réalité que nous percevons, mais refusons d'affronter, tant nous nous sentons petits et impuissants. Je n'ai pas envie de blâmer mes compatriotes dans cette histoire. Chacun a le droit de souffler, de s'évader. Mais ce monde ne peut pas durer tel qu'il est. Qui sait ce que nos enfants seront un jour obligés de grappiller à la place des cadeaux publicitaires de la caravane.
J'en oublierais que je suis en charge du développement du vélo dans ma communauté urbaine. Et oui. Rien à voir. Impensable, l'idée de faire appel à la notoriété d'un cycliste pour venter les atouts du vélo urbain. Ou alors, il faudrait l'employer à contre emploi. "Le Tour de France, ça coûte très cher, ça pollue et c'est très mauvais pour la santé des coureurs. Tout le contraire du vélo urbain !" Ca y est. Je tiens mon slogan. Merci le Tour de France.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire